Publié le 03/11/2011
À l’heure de la télé-réalité, le récit autobiographique s’est largement répandu. Puisque de sombres inconnus peuvent épancher leur vie sur nos écrans, alors pourquoi s’empêcher de raconter la nôtre sur du papier. Après tout, s’il y a un public pour regarder, il y a peut-être aussi un public pour lire.
Pourtant, si j’en viens à écrire ma vie, ce n’est pas juste pour l’étaler comme ça et espérer avoir un tirage de best-seller. Bien entendu, si les lignes qui vont suivre peuvent aider des gens à se sentir mieux dans leur peau, alors je signe des deux mains. Mais ce n’est pas juste pour me mettre à nu sur l’agora, ça correspond à un réel besoin. Au fond, ce journal pourrait rester intime, je n’ai encore rien décidé. Seule la qualité du récit l’emportera. Au mieux, j’aurai une tribune offerte et pourquoi pas, l’occasion de me lancer dans une carrière. Au pire, j’aurai répondu à une attente de mon moi profond et ça m’aura permis de mieux vivre ma vie.
Parce que ce n’est pas facile tous les jours d’être gros. Je pourrais dire obèse, mais je n’aime pas ce mot. Pourtant c’est ce que je suis. Quand je calcule mon Indice de Masse Corporelle, mon résultat me place dans les cas d’obésité morbide ou massive. Je risque des troubles cardiovasculaires, de l’hypertension, du diabète, un cancer… Même si je me déplace encore aisément, je ne peux plus courir sans risquer des lésions de mes articulations. J’ai de régulières douleurs dans le dos. À 34 ans, mon poids est une épée au-dessus de la tête. Au point que lorsque j’ai voulu acheter mon appartement, les assurances ont refusé de faire leur travail, ce pourquoi on les paye, m’assurer. Trop de risques. Être gros, c’est un handicap pour plein de choses dans la vie.
Pourtant, je n’ai pas à me plaindre, je l’ai dit, je me déplace encore aisément et j’ai vaincu le poids du regard des autres. Certain(e)s n’ont pas cette chance et vivent reclus chez eux. C’est à ces personnes-là que je souhaite apporter du réconfort par mon récit. Leur dire qu’ils ont beau être comme ils sont et que même s’il y aura toujours un gros con pour s’exclamer dans la rue « tiens, on a réussi à sauver Willy », sans vouloir faire une once de morale, leur dire qu’il y a des solutions possibles, que rien n’est irréversible. Et je ne parle pas d’un énième régime miracle. Ce n’est pas facile, mais si j’y arrive, alors pourquoi pas vous.
Nous sommes 15 % de la population en France à être atteint de cette maladie. En gros, si j’ose dire, 9 millions de personnes. La population de la Suède, ou de la Somalie, ça n’est pas rien, ça cause un peu plus. Ça permet à chacun de relativiser un peu plus, de se dire qu’on n’est pas le seul dans ce cas. C’est important de ne pas se sentir seul, ça aide à se sortir de l’isolement dans lequel notre état physiologique nous place. Bien entendu, ça ne règle pas tout, mais c’est déjà, non pas un réconfort, ni un soulagement, plutôt un appui. De savoir qu’on n’est pas tout seul, ça veut dire qu’on peut trouver quelqu’un qui pourra nous aider. Quelqu’un qui ne nous jugera pas. Quelqu’un qui ne nous regardera pas comme une chose anormale et informe.
148,3, ce sont les chiffres qu’ont indiqué ma balance ce soir. J’arrive à me stabiliser autour des 150kg depuis quelques mois. Il y a dix ans, j’en faisais dans les 110. Je me trouvais déjà gras, mais au moins, je pouvais courir. Je jouais même au rugby, mais j’ai eu une vilaine fracture et mon poids, déjà, a ralenti le recouvrement de mes facultés sportives. Ne faisant plus de sport, j’ai grossi. Je me suis stabilisé autour des 130. Des événements que je relaterai plus tard m’ont amené à mon poids actuel.
Je ne suis pas du genre à subir l’oppression de la balance mais ce soir, j’ai voulu savoir. Ce soir, j’en ai eu marre de me cacher la vérité. J’ai réalisé depuis longtemps que la nourriture peut être une drogue. J’en ai même abusé de cette drogue. Quelle sensation de bien-être lorsque je remplissais mon corps de bouffe trop grasse, trop peu équilibrée. Quelle jouissance, mais si je savais que j’allais le payer en passant le jour suivant à avoir la courante, même si je savais qu’ainsi j’aggravais tous les risques pour ma santé. Mais vous avez déjà vu un junkie se dire que ce n’est pas bien ce qu’il fait au moment où il se pique ? Mais ce soir, j’ai pris conscience que d’identifier un problème, ce n’est pas le résoudre et que maintenant je dois livrer un combat avec moi-même et avec la bouffe.
Voilà la vraie raison de ce journal. Je ne veux pas juste étaler ma vie, je veux faire un rapport détaillé de cette guerre dans laquelle je m’engage. Ce ne sont plus les petites escarmouches que j’ai pu mener. Non, maintenant, je passe aux choses sérieuses. Je dois suivre la voie que j’ai amorcée. Et écrire, c’est pour moi une chance supplémentaire de ne pas sortir perdant. C’est ce qui va me motiver à faire les choses de façon à vaincre totalement cette putain de maladie.