Publié le 05/12/2011 (veille de l’opération)
Presque deux ans ont passé entre ma première consultation et l’opération. Un parcours plus long que la normale, car je suis passé par la case dépression. Pas la petite déprime qui s’installe au début de l’hiver parce que ça fait chier la nuit qui tombe à 17h30. Non, la vraie, celle qui vous gâche la vie et pourrit celle de votre entourage sans que vous vous en rendiez trop compte. Ça a commencé par des accès de violence et une tendance à bouloter pour combler un vide : j’adorais mon boulot, mais pas les conditions dans lesquelles je l’exerçais. Puis un jour, il y a eu la goutte d’eau : la réflexion, faite dans mon dos, d’une de mes supérieures qui brocardait mon apparence et surtout, celle de la prunelle de mes yeux. Cette réflexion m’est parue d’une injustice totale, mais il m’a été impossible d’y répliquer : elle m’avait été rapporté par un témoin que je ne pouvais citer.
J’ai eu de gros troubles physiques, notamment des vertiges provoquant des chutes, et des crises d’angoisse me coupant la respiration au moment d’aller au travail. Et devinez par quoi j’ai pallié à l’angoisse: la nourriture. J’ai pourtant commencé mon parcours pour l’opération, car je voulais accompagner et soutenir ma chère et tendre. Mais bien entendu, il n’était pas possible pour moi de me faire opérer alors que je ne pouvais pas contrôler mes pulsions. J’ai donc fait un gros travail psychologique, dur, mais nécessaire. Dur, car c’est parfois difficile de s’entendre dire des choses que l’on a jamais soupçonnées à une psy. Dur de se découvrir un état d’esprit et une personnalité aux antipodes de ce que l’on se connait. J’ai fini par comprendre que sous un je m’en foutisme affiché, mon poids m’a perturbé beaucoup plus que je ne pensais.
Et aujourd’hui, alors que je rentre dans quelques heures à l’hôpital, je me sens heureux d’être passé par cette phase. Grâce à ma volonté et au soutien de ma moitié, j’ai réalisé des choses que je n’aurais jamais osé imaginer : j’ai quitté mon boulot pour un travail qui m’a épanoui, j’ai auto-publié un roman pour lequel j’ai fait ma promo dans un journal et une télé locale, mais surtout, j’ai repris mon combat contre mon ennemi très intime. J’ai vaincu la peur de tenter une solution pour rien, cette foutue peur de perdre du poids et de le reprendre parce que le combat pour maigrir est un combat dur et qu’à la moindre défaillance, les kilos reviennent et que la confiance en soi repart dans les tréfonds de notre âme, enfouie sous une tonne de bouffe.
L’image que l’on vous renvoie lorsque que l’on est obèse est généralement négative. Je dis généralement parce qu’il y a toujours au moins une personne dans votre entourage qui n’en a vraiment rien à foutre. Sinon, il y a toujours un bât qui blesse. Ce n’est pas facile de les encaisser ces bâts qui blessent, parce qu’ils viennent de la famille, ou des amis proches. Des gens bienveillants, qui s’inquiètent réellement pour vous, parce qu’ils ont lu ou vu à la télé les dangers d’un poids élevé. Alors se sont des petites réflexions, pas forcément méchantes, mais qui gonflent. Alors on les prend dans les dents, on met son mouchoir par-dessus et on continue à essayer d’avancer avec sa carcasse lourde à trimballer. Jusqu’à la goutte d’eau qui nous fait plonger dans notre faiblesse.
J’ai su plaisanter de mon poids, j’ai su en parler avec des personnes que j’apprécie et qui, si elles me jugeaient, ne le faisaient pas volontairement. J’ai su me détacher de ce handicap et faire fi des complexes mais aujourd’hui, je me rends compte, à la perspective de d’engager un combat de plus contre l’obésité, que ce poids m’a gâché de nombreux moments, m’a bouffé des moments de ma vie, a induit certains de mes comportements. Aurais-je eu la même adolescence timide avec une corpulence moins forte ? Aurais-je aujourd’hui autant de mal à aller vers les autres et à m’insérer dans des groupes sociaux sans cette image que je renvoie ? Cela paraîtra bizarre à certaines personnes qui ne me connaissent que peu, mais l’homme jovial et qui semble sûr de lui, est-ce que c’est vraiment moi et non pas une carapace que je me suis construite ?
Par contre, je suis certain d’une chose : ce qui m’arrive est une chance. Pas parce que, enfin, je vais rentrer dans une certaine « normalité » corporelle. Ni parce que cette opération est la réalisation d’un objectif. D’ailleurs, malgré le long parcours qui la précède, cette opération n’est pas une fin en soi. Ce n’est qu’un moyen de permettre à son corps de retrouver une santé. Après, la lutte va continuer et j’ai la chance de pouvoir la poursuivre cette lutte. Parce que trop nombreux sont ceux qui n’oseront jamais franchir le pas, à cause des mêmes peurs qui m’ont hanté.
Parce que trop nombreux sont ceux qui souffrent, résignés et qui n’arrivent pas à ce sortir du cercle vicieux de la nourriture comme palliatif aux angoisses. Parce que trop nombreux sont ceux qui ne savent pas que l’obésité n’est pas inéluctable, que l’on n’est pas une sombre merde juste parce que l’on a des fêlures que l’on a comblées avec le mauvais ciment. Parce que trop nombreux sont ceux qui, comme j’ai eu honte de moi, ont honte de leur corps et se croient incapables de mobiliser la toute petite force qui réside au fond de chacun de nous. J’ai eu la chance d’avoir le bon soutien au bon moment. Et j’aimerai vraiment la partager, cette chance.
Le hasard fait bien les choses, à l’heure où j’écris ces lignes, je pèse exactement 150,01 kg, ça me facilitera le calcul lorsque je vais monter sur la balance. D’ailleurs, je me suis trouvé un étalon sur mesure : certains comparent le poids qu’ils ont perdu à des paquets de croquettes pour chien, d’autres à des packs de 6 bouteilles d’eau, ben j’ai trouvé quelque chose qui me correspond plus : le pack de Heinekein ! Un pack de 6 bouteilles de 25cl pèse 2,5 kg, donc celui de 12 bouteilles 5 kg. Lorsque j’aurais perdu mes 10 premiers kilos, mon corps aura à trainer 2 packs de 24 en moins ! Formidable non ? D’autant plus que je ne suis pas près d’en boire de la bière. Cette opération modifiera même ma façon de regarder les matchs de rugby.
Oui, ils sont nombreux les changements à venir dans ma vie, des changements que je ne soupçonne même pas. Je crois que c’est ce qui me stresse le plus, ce qui m’empêche de dormir ce soir. Merci le mal de ventre qui me tiraille les intestins. Ça, est la grande question. Non, pas est-ce que je vais me réveiller, ça serait vraiment pas de bol, j’ai plus de « chance » de me faire renverser par un connard en traversant la rue qui sépare le parking de l’hôpital.
Non la vraie question, c’est qu’est-ce que je vais manger pour mon dernier repas d’homme gros ?