Publié le 22/03/12

3 mois et demi après l’opération, j’ai perdu 33 kilos. C’est un changement énorme. Et, je l’avoue, si l’on ne réfléchit pas, parfois immoral. Je suis à deux doigts de porter des vêtements XXL quand je portais du 6XL. Je vois mon corps fondre et appeler à la reprise du sport que je ne pouvais plus pratiquer. Je retrouve des sensations perdues il y a bien longtemps et je profite beaucoup plus de chaque petit plaisir que la vie peut m’octroyer. Et, s’il faut l’avouer, je ne sais par quel processus, j’ai grandi du zizi. Si si ! Mais ça mène vraiment à tout cette opération, même à une déchirure musculaire sur l’omoplate.

J’ai déjà évoqué le peu de quantité que je peux dorénavant absorber. Ce fait s’est un peu amélioré. Du coup, mes repas sont de moins en moins une épreuve psychologique. Je mange un peu plus, les quantités jetées sont moins importantes, je suis content du travail fait de ce côté-là.

Par contre, cette chirurgie reste celle de la mal absorption, et le restera toujours. Ce qui veut dire que je peux faire tout excès que je veux, je continuerai à perdre régulièrement du poids. Soirée alcoolisée ? Pas un problème, je tiens toujours aussi bien la charge, même si j’avale des quantités moindres. Envie d’une raclette entre potes ? Pas un souci, quand j’aurai mangé 4 tranches de fromage, j’aurai fini mon festin. Et ça marche pour tout.

Mais tout se paye, environ 6 heures après. Ça commence par une vague sensation d’avoir des gaz, d’être un peu ballonné. Mais ça devient rapidement des crampes dans les intestins. Quand ce moment arrive, 2 solutions : vous avez des toilettes à proximité et c’est parti pour de très longues minutes de solitude à écouter le monologue des intestins. C’est très long, c’est douloureux, c’est gênant, parce que ça n’arrive pas forcément dans le confort de son logis, mais n’importe où : chez l’ami, qui ne vous verra plus jamais du même oeil ; au bureau, dans l’angoisse qu’un collègue ne rentre pas au même moment et sente l’épouvantable ; dans un lieu public, alors que l’hygiène n’y est déjà pas terrible…

Mais ça, c’est si vous avez la chance d’avoir des toilettes à disposition. Dans le cas contraire… laissez-moi vous citer un passage du dernier livre de Daniel PENNAC, Journal d’un corps (paru cette année chez Gallimard) : « Les fonctions automatiques sont-elles innombrables ? On n’y fait jamais attention mais il faut que l’une d’elle se détraque pour qu’on ne pense plus qu’à elle ! Quand il trouvait que je me plaignais trop, papa me citait toujours la même phrase de Sénèque : Chaque homme croit porter le plus lourd des fardeaux. Eh bien c’est ce qui se passe quand une de nos fonctions se détraque ! Nous devenons le type le plus malheureux du monde ! ».

Ce court extrait illustre tout à fait mon propos. Vos intestins n’étant plus que crampes et diarrhée, votre personne se réduit à être vos intestins. Il vous faut interrompre toute affaire en cours et vous mettre en recherche d’un trône. Vous priez, oui, priez, pour que vos sphincters tiennent bon, pour qu’ils jouent leur rôle et contiennent à l’intérieur de votre corps la marée nauséabonde qui ne demande qu’à se répandre. La sueur vous glace le dos, les grimaces de douleur déforment votre visage. Tenir, il faut tenir. A tout prix contracter ce petit muscle, y mettre toutes vos forces. Vous ne pouvez plus penser à rien d’autre qu’au drame social de se chier dessus en public si vous ne tenez pas bon.

Et, quand vous touchez au but, que vous ouvrez la sacro-sainte porte qui vous permettra de vous délivrer de toute cette douleur, car vous avez vraiment très mal, vous êtes blafard et vous ne pouvez marcher que courbé pour éviter les crampes, quand vous êtes devant ce trône de porcelaine qui signifie la fin de votre calvaire, un début de soulagement intervient. Les quelques secondes qu’il vous reste avant d’être assis et de pouvoir vous libérer sont interminables. Tenir encore dans une dernière lutte, alors que votre sphincter est prêt à se rendre dans ce dernier combat car vous n’avez pas encore baissé votre pantalon. Il faut être fort, très fort pour supporter ça. Mais il y a une épreuve que j’ai vécue personnellement encore bien plus difficile : Quand la porte, parce que le mécanisme est cassé, ne s’ouvre pas. Je suis devenu fou l’espace d’un instant. Mon cerveau s’est déconnecté et je n’ai plus réfléchi à la portée de mes actes. Je n’avais plus qu’une seule idée en tête : ouvrir cette porte. Le résultat, je vous l’ai dit plus haut, mène à une déchirure musculaire au niveau de l’omoplate, à force de vouloir défoncer cette putain de bordel de merde de porte qui ne s’ouvrait sous aucun de mes coups de butoir. 3 semaines de douleurs, et c’est loin d’être fini. J’aurai sans doute des séquelles à tout jamais. Merci mes intestins.

Malgré cela, malgré cette partie la plus pénible des suites opératoires, je ne me vois pas, en toute connaissance de cause, ne pas me refaire opérer si ma vie faisait un bon de 4 mois en arrière. Car aujourd’hui, bien que devant vivre avec ces tracas physiologiques, je peux enfin affirmer que je suis heureux de vivre avec mon corps. Et ça, n’importe quelle personne qui a connu les affres de l’obésité pourra vous dire que c’est un rêve qui tient de l’impossible et qui n’a pas de prix.