Photo © Antoine Vitek Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 20 octobre 2014

C’est encore l’automne, mais le froid est déjà bien vif, malgré une journée ensoleillée. Pierre sort d’un pub, il y a passé un moment avec quelques collègues, pour fêter l’heureuse clôture d’un dossier rondement mené. Il n’est pas tard, mais il fait déjà nuit, prémices de l’hiver. Chacun se hâte de rentrer chez soi, quand lui n’en a pas plus envie que cela. La saison est propice au spleen et célibataire depuis un certain temps, il ressent un besoin accru d’affection. Il ne se sent pas malheureux ou délaissé ; par moment, la solitude lui pèse plus qu’à d’autres. Comme un manque que sa vie sociale n’arrive parfois pas à combler.

Il décide de prendre son temps et de rentrer à pied, pour laisser, quelques minutes de plus, se diffuser en lui le bon temps qu’il vient de prendre. Une fois chez lui, une routine va s’installer : étendre la machine de linge qu’il a programmée avant de partir travailler, réchauffer au four à micro-ondes un plat qu’il a préparé le week-end, se poser dans son canapé pour regarder un épisode d’une série sur ou lire un peu. Et d’aller se coucher, seul, dans cette chambre aux murs sans décorations, dans ce lit froid. Comme un manque de la chaleur d’un corps contre le sien, de la douceur d’une peau à caresser, d’un cou gracile à embrasser.

Il relève alors son col sur son écharpe, coiffe ses oreilles de son casque audio et lance son lecteur MP3. Il apprécie ces balades nocturnes. La voix cristalline de Lisa GERRARD le transporte dans un monde un peu à part, comme dans une bulle hors du temps. Il déambule, nonchalamment. Le rythme de la ville n’a plus de prise sur lui. Il sait qu’il est vaguement dans la bonne direction pour rentrer, mais il se laisse porter par ses pas, à la façon de ces tortues de mer qui se laissent porter par le courant pour rejoindre d’autres rivages. C’est ça : ouvrir une parenthèse, partir à l’autre bout du monde, où le ciel est bleu, l’eau transparente, le climat chaud. Plonger à la découverte de récifs de corail, côtoyer la faune et la flore sous-marine au large d’une île exotique. Comme un manque de couleurs dans la grisaille de sa vie.

Son regard est alors attiré par les néons d’une devanture. Pierre se rend compte que, tout à ses pensées, il s’est perdu dans une rue qui lui est inconnue. Mais il ne s’en effraie pas pour autant, il reprend juste pied dans sa réalité. Il observe le reflet qui lui fait face dans la porte vitrée, juxtaposé aux horaires d’ouverture de l’établissement. Il se sent en décalage vis-à-vis de cet autre qu’il aimerait parfois être, de ses envies qu’il n’arrive pas à combler. Il sait pourtant que de toute façon, il y aura toujours une petite chose qui ne va pas, un petit caillou dans sa semelle. Ça ne l’empêchera pas d’avancer, sans regrets ni amertume. Ce qui s’est passé est inéluctable, il n’a plus de prise dessus et il sait qu’il vivra de nouvelles choses, sans doute plus belles encore que ce qu’il a déjà vécu. Il faut juste qu’il fasse avec, qu’il ne laisse pas cette mélancolie diriger sa vie, le rendre aigri. Comme un manque de cheveux pour un chauve qui adorait aller chez le coiffeur.