Photo © Kot Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 17 novembre 2014

Pierre a immédiatement remarqué la lassitude sur le visage de la jeune femme, bien avant l’état de son pantalon, tandis qu’elle se jette à l’intérieur de la rame, le signal annonçant la fermeture imminente des portes. Depuis, il l’observe du coin de l’œil, alors qu’elle s’est affalée sur l’un des sièges.

Pfiouuuu. C’était moins une. Il n’aurait plus manqué que je le rate, ça aurait été le pompon de cette bonne grosse journée de merde. Je suis si fatiguée, ça aurait été insupportable d’attendre le prochain train une demi-heure…

Avachie sur le fauteuil, la tête posée contre la paroi du train, elle n’a aucun autre mouvement que celui de son pouce qui virevolte sur le clavier de son téléphone.

Si je m’endors, c’est foutu, je suis certaine de rater mon arrêt. A l’heure qu’il est, j’ai pas, en plus envie de me retrouver à Tataouine. Me faut un son bien puissant pour me maintenir éveillée.

 

Elle a les cheveux gras, en bataille, les traits tirés sous un maquillage qui semble ne pas avoir passé l’épreuve du temps. Avec son look dépenaillé, elle lui donne l’impression d’une jeunesse perdue, désabusée. Il est persuadé qu’il a affaire à une adepte du « Binge Drinking », ou à une droguée, tant ses yeux sont dans le vague. Elle semble obnubilée par sa musique, dodelinant machinalement de la tête.

 

Ah, Mozart… Depuis que j’ai vu le film de Milos Forman, j’ai toujours le Requiem dans mon baladeur. Ce lyrisme, cette puissance. Je suis à chaque fois transportée par le Kyrie. J’y trouve bien plus d’énergie que dans la plupart des groupes de rock que je peux découvrir par mon application musicale. C’est comme une respiration, avant d’enfin pouvoir retrouver mon appartement et de dissoudre ces dernières 36 heures si éprouvantes avec une douche brûlante et la douceur de ma couette.

 

Le train ralentit en vue du prochain arrêt. Pierre s’apprête à descendre. Il éprouve de la tristesse pour elle, ainsi qu’un certain dégoût pour cette société qui n’offre visiblement plus d’autre alternative à la jeunesse que le désarroi. Il se dit qu’il n’est pas prêt d’avoir une pension correcte pour sa future retraite cette génération d’empotés continue à s’empêtrer dans une telle déchéance au lieu d’étudier et de trouver du boulot. Il sort de la rame, maugréant intérieurement, las de cet avenir si sombre.

Qu’est ce qu’il a celui lui là à me regarder depuis tout à l’heure ? Pitié, j’ai pas, en plus, besoin de me taper un pervers… Comme si c’était pas suffisant d’avoir à repousser les avances du senior de garde. Ça se croit tout permis sous prétexte que je suis une nouvelle interne dans ce service, mais attend la prochaine garde, vais lui foutre un diurétique dans son café s’il recommence son cirque. Voilà que je déraille, c’est vraiment long ces gardes, mais faut t’accrocher. Encore deux ans et je suis médecin. Mais là, je suis teeeeeeeelleeeeeeement fatiguéeeeeeee…