Photo © Romaric Cazaux Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 17 novembre 2014
C’est le rituel quotidien depuis quelques soirs, lorsque je rentre chez moi. À l’aide d’une lampe à dynamo, je vais dans la cuisine où, d’un geste machinal, mes mains trouvent dans l’obscurité un briquet posé à côté d’une grande bougie. Une fois allumée, je m’en sers pour enflammer une quinzaine d’autres mèches, tel un cérémonial digne d’un passage de flambeaux. Puis je dispose les piliers de cire sur un plateau avant de les disséminer aux quatre coins de l’appartement. Je peux ensuite vaquer à mes différentes occupations, dans une ambiance tamisée et vacillante. Je vais ensuite rallumer le chauffage dans la chambre des petits, mais au minimum, juste assez pour qu’ils ne soient pas malades. De toute façon, nous avons rajouté des couvertures, car si l’appareil consomme trop d’énergie, le limiteur coup « le plomb » sur le tableau électrique.
Cela ne devrait durer que quelques jours, le temps que des aides arrivent, mais en attendant, il faut faire avec. De toute façon, depuis que j’ai perdu mon boulot, nous nous sommes habitués à faire avec les galères. Même si cette fois-ci, j’ai eu une très forte envie de baisser les bras. Depuis que je me suis fait virer pour faute lourde, j’ai fait grève et mon patron a prétendu que j’ai empêché un collègue de travailler, ma vie n’est plus toute rose. J’ai beau enchaîner les CDD et les missions d’intérimaire, nos revenus ont sensiblement baissé. Nous avons dû faire des choix de gestion. La priorité est notre loyer, pour le reste, nous jonglons.
Fini internet sur le téléphone mobile.
Fini les courses dans l’épicerie bio.
Fini les expos du dimanche après-midi.
Fini la soirée livraison du repas japonais.
Fini les achats de jeux vidéo, de films et de livres.
Fini de consommer pour consommer.
Comme c’est la trêve hivernale, l’électricité n’est pas totalement coupée : nous pouvons laisser brancher le frigo, le chauffage et un peu de lumière. Mais les seuils sont si bas que nous économisons toute l’énergie possible. Les enfants vont faire leurs devoirs et prendre une douche chaude chez une voisine complaisante. Et tous les soirs, nous nous éclairons à la bougie, espérant enfin voir une lueur d’espoir.