En tout premier lieu, il y a une envie, presque un désir, qui se transforment en une forte excitation au moment de passer sous le porche d’accueil de l’attraction. Puis il a cette putain d’attente. « 30 minutes à partir de ce point » signale un panneau. Encore heureux, le ciel couvert de nuages lourds d’une pluie qui ne demande qu’à se déverser sur le parc a fortement réduit le nombre de clients, poliment appelés visiteurs. Dans la file, les conversations vont bon train. Certains décrivent les sensations éprouvées dans le précédent manège, d’autres relatent des anecdotes sur leur travail, école, vie familiale, sur tout, sur rien. Beaucoup se murent dans le silence. Bien que les parcours et matériaux utilisés soient conçus pour être sans danger, l’attente parvient à générer une angoisse palpable. Au fur et à mesure de la progression dans ce serpent humain, les ventres se nouent, les visages se crispent, les teints pâlissent. Puis vient l’arrivée dans la salle de départ. Chacun a le loisir d’observer le manège des véhicules, du personnel chargé d’installer les visiteurs, des personnes qui embarquent ou débarquent. Dans quelques mètres, Pierre pourra s’installer dans l’un des wagons.

En tout premier lieu, il y a une envie, presque un désir, qui se transforment en une forte excitation à l’avenir de ce second rendez-vous. Puis il y a cette putain d’attente. Encore une bonne demi-heure selon l’horloge numérique du boitier Internet. Il a réussi à occuper son esprit jusqu’alors, ranger l’appartement, faire le ménage, préparer les amuse-gueules, mettre le vin dans une carafe pour qu’il soit à température. Dans sa tête, plusieurs choses s’entrechoquent. Les premiers échanges, amicaux, sur la messagerie privée d’un réseau social, la décision de se voir en vrai autour d’une bière, une soirée à faire connaissance, à se rendre compte chacun de son côté que l’on apprécie de plus en plus l’autre, ce sentiment de bien-être à partager ce moment particulier. L’envie commune de se revoir. Pierre sait que ça ne sert à rien de fixer l’heure, elle n’avancera pas plus vite. Il a le ventre noué. Il sait qu’elle lui plait et malgré les signaux envoyés, il n’est pas certain que ce soit réciproque. Il ferme le livre qu’il a ouvert, incapable d’en lire une seule ligne moins de cinq fois sans jamais la comprendre. Il se mure en lui-même, se concentre uniquement sur sa respiration. Il a l’impression que son cœur devient une mécanique qui ne bat plus que dans un monotone tic-tac-tic-tac-tic-tac. Puis il entend du bruit dans l’escalier et la sonnette retentit. Il descend lui ouvrir la porte, répond à son magnifique sourire, l’invite à s’installer dans le canapé et vient prendre place à ses côtés.

La tension est à son comble, mais il ne peut plus reculer : Pierre est solidement harnaché au fauteuil qui lui laisse les jambes pendantes dans le vide, au premier rang de la machine infernale. Devant lui se dresse une rampe métallique, tel un escalier vers le paradis. Pourtant, ce n’est pas cette chanson qu’il a en tête, mais une sorte de voile blanc et cotonneux : il n’est plus capable de penser à rien d’autre qu’aux secondes qui vont suivre et à la crainte de ce qui pourrait se passer. Et alors que le temps semblait s’être arrêté, tout s’emballe et l’engin se met en route. La lente ascension vers le ciel, accompagné d’un sinistre cliquetis, est interminable.

La tension est à son comble, mais il ne peut plus reculer. Tous les signes sont là, les flammes qui dévorent son regard, les postures, les frôlements faussement accidentels. Devant lui se dresse cette femme, sensuelle, qui ne semble aspirer qu’à la même chose que lui. Pourtant, n’a plus en tête qu’une sorte de voiles blancs et cotonneux : il n’est plus capable de penser à rien d’autre qu’aux secondes qui vont suivre et à la crainte de ce qui pourrait se passer. Et alors que le temps semblait s’être arrêté, tout s’emballe. Pierre se décide et pose sa main sur celle de la belle. Puis il se rapproche, doucement, profitant du visage radieux qu’elle lui offre, les yeux mi-clos.

Et soudain, devant lui, il n’y a plus que le vide dans lequel il est jeté sans vergogne ! Les sensations s’enchainent à un rythme incroyable, il n’a plus aucun repère spatio-temporel.

Leurs lèvres s’effleurent une première fois, puis ils s’enlacent sans plus aucune retenue. Les sensations s’enchainent à un rythme incroyable, ils n’ont plus aucun repère spatio-temporel.

Pierre est heureux.