Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 29 août 2016
Elle ne fait que deviner sa présence pourtant, elle sait qu’il est là, quelque part dans la pièce. Elle sent que l’espace est rempli d’une vapeur, du même genre de celle qu’elle a pu humer en boite de nuit. Elle ne sait pas ce qui va lui arriver, et elle a une boule au ventre. Elle en trépigne, ne sachant pas trop quoi faire de ses mains, qu’elle laisse aller sur sa robe blanche comme pour se raccrocher à quelque chose. Pierre a beau l’avoir prévenu que la suite de leur rencontre la plongerait dans un certain trouble, elle commence à regretter d’avoir accepté de prolonger ce rendez-vous. Et tout ça, il l’observe, lisant l’angoisse sur les traits de son visage parfaitement cadré dans le viseur de l’appareil photo, occultant délibérément son regard. Non, il ne veut pas lire la peur dans les yeux d’une femme dans le brouillard.
Il n’a aucun doute : elle n’a absolument pas deviné de ce qui allait arriver. Après leurs premiers échanges virtuels sur un réseau social, il a pu observer l’action de son charme sur la jeune femme. Alors, tel un prédateur, Pierre a mis en branle son stratagème, bien rodé, aboutissant à une invitation pour un verre dans un bar. Et comme à son habitude, le soir convenu, il a passé de longs instants à se préparer, à soigner chaque détail. Costume italien taillé sur mesure, sortant de chez le teinturier, dont émane une odeur rappelant la fraicheur d’un pré un petit matin du printemps. Crâne rasé de près, à l’aide d’une crème apaisante, puis lustré, barbe taillée et coiffée, donnant à son visage un ovale qui, associé à ses grands yeux, lui donne un air ouvert et bienveillant.
C’est d’ailleurs avec bienveillance qu’il l’a écouté parler, une écoute dont « elle ne pensait plus que ça puisse encore exister chez un homme ». Il arrive à rougir au compliment, elle se met à penser qu’elle lui plait et qu’elle apprécie cette marque pudique d’affection. Inconsciemment, elle baisse les yeux vers son cocktail puis le fixe du regard alors qu’elle porte la paille à ses lèvres. C’est un signe qu’il reconnait. Il sait alors qu’il peut lancer la phase suivante de son plan : « J’ai très envie de vous (il marque une courte pause à peine perceptible, mais que le subconscient de sa cible enregistre à coup sûr) faire découvrir un lieu que j’affectionne ». Les quelques verres et le charme agissent. Elle sourit, lui aussi.
La robe blanche tranche avec le velours noir tendu sur les murs. « Soyez assurée que vous n’êtes obligée en rien et que vous êtes totalement libre de partir dès que vous le souhaitez » lui dit-il, alors qu’il vient frôler son dos d’une main douce, presque caressante, l’encourageant ainsi à poursuivre leur exploration du lieu. Le taxi les a déposés devant un hôtel particulier que le propriétaire loue régulièrement à un organisateur de soirées, dont Pierre fit la connaissance quelques années auparavant. Le lieu se transforme en alcôve accessible uniquement sur invitation après parrainage. Et l’hôte accorde à certains privilégiés comme Pierre de privatiser une pièce pour des fantasmes un peu plus…
C’est ainsi qu’après avoir bu un nouveau cocktail au milieu de convives enlacés dans un salon transformé en bar qu’il a proposé à sa compagne du soir d’aller dans « un endroit un peu plus intime ». Ce moment se joue à quitte ou double et il n’a jamais tenu rigueur à celles qui ont décliné, leur proposant de profiter comme elles entendaient du reste de la soirée, mettant à leur disposition un véhicule pour les raccompagner, quittant la demeure pour son propre logis. Il est là dans un but unique et la bagatelle, qu’il apprécie par ailleurs, n’en fait pas partie.
Non, il est là pour les émotions brutes, vivantes. Pour trancher avec son ancien métier de reporter de guerre où il passait le plus clair de son temps à photographier des cadavres aux yeux ternes. De fait, il « piège » des jeunes femmes, joue avec leurs angoisses, pour mieux les coucher ensuite sur papier glacé. Certaines sont même reprises en dessin pour faire la couverture de livres. Mais ile ne se contente pas de ça. Peu à peu, le brouillard va se dissiper. La femme dans le brouillard va l’apercevoir. Il continuera de filmer, sa surprise, son interrogation, qui sait sa colère. Il ne pipera mot, laissant parler le visage et le corps. Puis de nouveau une nappe de brouillard. Elle comprendra le jeu, ce qu’il captera également. Elle s’y prêtera, ou pas. Libres, certaines fuient quand d’autres se dénudent ou encore se mettent à déclamer des vers. Qu’importe. Seul compte le voile qui enveloppe, qui se lève, tout le reste n’est qu’une histoire qu’il n’aura pas écrit à propos d’une femme dans le brouillard.
Très bon texte ! Une fine connaissance des réseaux sociaux je crois ! 😉 J’aime beaucoup la fin, car tu as joué avec nos peurs, à la manière du prédateur … qui n’en est pas un du moins pas tel qu’on le suppose ! Bref, bien aimé me faire balader. 🙂
A la semaine prochaine alors ? 😉
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Tu crois pour les réseaux ? 😆
Merci, et oui il y a des chances
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Sacré jeu avec le lecteur que ce texte glaçant à souhait qui se clot sur des perspectives esthétiques.
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Merci
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Effectivement, on ne cesse de s’interroger sur comment la jeune femme va finir et on n’avait pas pensé à cela. En tout cas, on frissonne c’est réussi!
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J’ai retenu mon souffle, je me suis demandé une bonne partie du texte ce qui allait se passé pour cette femme ! Bravo pou ce suspens insoutenable !
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Merci
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Un très beau texte plein de suspens bien mené! Bravo ! Une plume que j’aimerais continuer à lire dans cet atelier 😉
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Très intriguant, on reste accroché à tes mots, et on voit clairement la scène qui se déroule sous nos yeux, et sous ta plume.
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J’ai vraiment cru que ton personnage allait la tuer … et j’ai eu peur, comme si je voyais la même chose que ces femmes. Beaucoup de suspense en tout cas.
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Merci
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Comme un parfum de danger, sulfureux, et puis… une respiration profonde de douceur. J’aime beaucoup.
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