Photo © Julien Ribot Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 5 septembre 2016
Pierre marque un temps d’arrêt devant le portail vert entrouvert, face au mur décrépi. C’est le numéro, doré sur fond rouge, apposé sur le mur, qui a instantanément provoqué un flash, alors qu’il venait de descendre de l’ambulance, sac de secours sur le dos. Comme à son habitude, il ne s’était pas soucié du lieu de l’intervention depuis le moment où, à peine installé dans la salle commune du Centre de Secours, alors qu’il venait à peine d’entamer son repas, le ronfleur puis les trois sonneries, courte longue puis courte à nouveau, avaient annoncé le départ en intervention du Véhicule de Premiers Secours à Personnes. En un éclair, il s’était levé et avait quitté la table sous les moqueries de ceux qui pouvaient continuer à manger, pour se diriger en courant vers la remise, se jetant dans la cellule arrière et attrapant une paire de gants à usage unique. Le Chef d’Intervention, après être passé au bureau de veille opérationnelle pour prendre connaissance de l’ordre de départ, lui avait juste dit qu’ils partaient pour personne blessée par un coup de couteau. Pierre ne s’était pas soucié de l’adresse, qui impactait peu le déroulé des évènements à venir.
L’adrénaline peut tout autant paralyser que démultiplier les facultés. Lui s’en sert pour se concentrer sur les différents gestes à effectuer en priorité selon les cas rencontrés. Sachant qu’il est strictement impossible d’anticiper une intervention tant que l’on n’est pas sur les lieux, de par un simple ordre de départ : trop de paramètres sont inconnus jusqu’à l’arrivée sur les lieux. Ne pas retirer le corps étranger. Mettre la victime dans la position la plus adaptée selon le siège de la lésion. Traiter l’hémorragie s’il y a lieu. Vérifier qu’il n’y a pas de plaies ou lésions cachées. S’affairer à prendre les constantes, évaluer la gravité des plaies, tout en rassurant la victime. Sauf si elle est en arrêt cardiaque, commencer à masser pendant qu’un autre équipier posera le défibrillateur, ou inversement. Tout peut arriver, y compris que la personne les attende sagement sur le trottoir parce qu’elle s’est coupée à l’index en épluchant des patates. Tout peut arriver du plus grave au moins grave. Le véhicule s’arrête. « On y est ! » annonce le Chef.
Et ce choc en descendant. Tout lui revient en mémoire. La maison de ville aux murs défraichis. Le numéro 124 en doré sur fond rouge. Le portail vert entrouvert. Les quelques marches en bétons, couvertes de mousse, dont s’échappent de mauvaises herbes si coriaces qu’elles ont même pu fleurir. Les traces d’humidité tenaces, sur le mur mitoyen. Le reste de ce qui a dû être un lierre, sur le pignon du fond. Le vélo dans la courette. Les thuyas mal entretenus. Chaque petit détail remonte de ses souvenirs vers la réalité de l’instant présent.
Il est déjà venu ici, il le sent, il le sait. Sauf que c’est la première fois qu’il met les pieds à cet endroit. Il en est certain. Mais non, chaque détail, si précis. Mais d’où cela vient-il bon sang. Pierre sent une pointe d’angoisse monter en lui. Il la combat ardemment. Il veut se ressaisir. Il a une mission à accomplir. Une personne attend les secours derrière ces murs. Ces murs si vivants. Ces murs qu’il connait, sans ne les avoir jamais vus, il en est certain. Le trouble s’accroit, le temps s’arrête. Ne pas laisser le stress gagner, l’adrénaline le paralyser. Et cette putain d’impression de déjà-vu. Et ça fait ding dans sa tête. Tout se reconnecte ! Pierre se rend compte qu’il est en proie à paramnésie. Ça lui arrive de temps en temps.
« — Oh Pierre, tu te bouges le cul ou il te faut une invitation ?!
— Je suis là Chef, je suis là ! »
Il tire sur les sangles du sac de secours pour l’ajuster et dépasse le mur pour se lancer à l’assaut des quelques marches en bétons, couvertes de mousse, dont s’échappent de mauvaises herbes si coriaces qu’elles ont même pu fleurir.
Une très belle description du monde des secours, mais on voudrait bien savoir nous aussi!!
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merci
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Oui, le texte joue avec notre faim ! J’ai beaucoup aimé la façon dont tu retraces cet univers.
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Oui, belle histoire qui décrit bien le monde des secours que l’on connaît de trop loin et qui dépeint avec minutie les sentiments des sauveteurs…Moi aussi, la Fin me laisse sur ma Faim. 🙂
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J’avoue avoir eu ce parti pris à éluder. Pour vous tenir en haleine, mais aussi pour ne pas partir dans un récit trop technique avec peu de rapport avec la photo. Mais je note vos envies de savoir, je creuserai peut-être une autre fois 🙂
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Bravo pour ce texte dont j’attends la suite avec impatience 😉
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Il se passe des choses dans un désordre et une précipitation qui cadre bien avec l’urgence possible de la situation, et ces choses j’aimerai pouvoir pénétrer plus loin dedans car il y a tout un autre texte possible derrière le premier…..C’est une poupée gigogne, nous ne sommes pas arrivés au bout du dévissage !!
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Je commente avec pas mal de retard, je m’en excuse ! Je regrette de ne pas lu ce texte plus tôt, car tu décris superbement bien les sensations que quelqu’un peut ressentir face à l’urgence, ou dans une situation de déjà-vu ! Hâte de connaître la suite, que je vais m’empresser de dévorer !
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