Photo © Kot Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 3 octobre 2016

Elle aurait préféré passer son dimanche après-midi sous la chaleur duveteuse de sa couette, à regarder la rediffusion d’un épisode de la série Hercule Poirot. Ne vous méprenez pas, elle n’est pas spécialement admirative de l’œuvre d’Agatha Christie, pas plus qu’elle ne trouve du charme à David Suchet, l’acteur qui incarne le détective belge au petit écran. Elle pourrait tout aussi bien suivre l’Inspecteur Barnaby alors qu’il élucide une affaire de meurtre. Un gout certain pour les enquêtes, qui lui vient peut-être de son père, lui-même auteur d’un roman policier. Mais non, point de chocolat chaud agrémenté d’un chamalow dans le salon de son appartement du XIIIe arrondissement. Son neveu l’a supplié d’aller faire un bonhomme de neige. Elle revêt donc le large bonnet assorti au long manteau de laine gris souris pour rejoindre la porte Dorée, sa sœur et la petite boule de vie.

La neige vient à peine d’arrêter sa chute et du côté de Vincennes, le Bois semble vierge de toute présence humaine. Une couche de poudre blanche recouvre les allées ainsi que les pelouses qui s’étendent vers le sous-bois. Le tapis n’est pas encore souillé de traces de pas qui finiraient, avec le redoux, par transformer le blanc-manteau en une bouillasse peu ragoutante. C’est pour ça, et non à cause du froid qui la mord, qu’elle préfèrerait ne pas être là, malgré la joie de passer du temps avec les siens. Ne pas laisser de traces.

Car elle est la discrétion même. Pas de couleurs extravagantes dans ses vêtements, rarement un mot plus haut que l’autre. Un visage sans âge, à la peau très pale, qui lui donne à la fois un air de jeunesse et laisse l’impression qu’elle traverse le temps, qu’elle a toujours été et qu’elle sera toujours là. La collègue appréciée de tous, qui brille par l’efficacité de son travail, mais que l’on ne remarque que peu tant elle reste dans son bureau, le nez dans ses dossiers, au point de ne jamais être venue aux soirées afterwork organisées tous les mois. L’un de ses subordonnés s’est même fait la réflexion qu’elle a le profil type de la « mémère à chats ». Si ce n’est qu’elle déteste ces animaux tout autant qu’elle est allergique à leurs poils.

De toute façon, elle n’a que faire de ce qui se raconte dans son dos. Alors que le bambin tire allègrement sur le long manteau en laine pour la sortir de sa torpeur, elle s’imagine être un peu comme une princesse de neige : personne ne pense à elle quand elle n’est pas là, mais les yeux de tous s’illuminent dès qu’arrivent les premiers flocons.