Photo © Vincent HÉQUET Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 10 octobre 2016
Lire l’épisode précédent : Face au mur
AVERTISSEMENT : Ce texte comporte des passages qui peuvent choquer les personnes les plus sensibles.
Pierre tire sur les sangles du sac de secours pour l’ajuster et dépasse le mur pour se lancer à l’assaut des quelques marches en bétons, couvertes de mousse, dont s’échappent de mauvaises herbes si coriaces qu’elles ont même pu fleurir. Une femme d’une cinquantaine d’années vient à la rencontre des secouristes, la mine défaite, pâle, l’air hagard, uniquement vêtue d’un long tee-shirt qui lui arrive à mi-cuisse, maculé de sang. Elle serre dans sa main droite un long couteau, également souillé, la main gauche tenant un téléphone. D’une voix aussi blanche que son teint, « Je n’en pouvais plus » seront les seuls mots qu’elle prononcera, lâchant l’arme blanche qui émet un son métallique en heurtant le sol. Elle ne répond à aucune des questions de Pierre qui cherche à savoir comment elle se porte, relevant sommairement le vêtement, non pas par voyeurisme, mais à la recherche d’une plaie, expliquant son geste à la femme visiblement choquée. L’examen se relève négatif : le sang n’est pas le sien ! Le regard du Chef d’intervention est sans appel, et tandis qu’un secouriste reste auprès de la femme, les trois autres membres de l’équipe se ruent à l’intérieur du pavillon.
La reconnaissance dans la vieille demeure les mène dans la chambre. La première chose qui les frappe est la semi-obscurité de la pièce, uniquement éclairée par une fenêtre dont les rideaux sont ouverts, les ampoules en forme de flamme du lustre n’apportant pas plus de lumière à la scène qui s’étale devant eux : aux pieds du lit, totalement défait, gît un homme, nu, baignant dans son sang, dont l’odeur de fer si caractéristique empreigne l’air. Tout s’enchaîne de façon quasi mécanique, chaque bénévole connaissant son rôle et ayant répété les gestes de premiers secours lors d’entrainements réguliers. Alors que le Chef sonde vainement la conscience de la victime et que le troisième équipier prépare l’utilisation la bouteille d’oxygène, Pierre pose le sac qu’il porte depuis leur arrivée sur les lieux dans un coin où les lames du vieux parquet en chêne ne sont pas souillées. La vérification du matériel qu’il effectue avant chaque garde ne laisse aucun doute dans son esprit sur l’emplacement de ce qu’il cherche et il extrait rapidement de la pochette adéquate de gros pansements pour les apposer sur les deux plaies visibles au niveau de l’abdomen.
À l’instant où il est constaté que l’homme ne répond pas, mais qu’il respire, la tension descend d’un léger cran : si la situation est grave, il n’y a pas nécessité à pratiquer de massage cardiaque. Une fois les coussins hémostatiques calés sur les plaies par une bande légèrement élastique et remplissant pleinement leur rôle, la victime est placée en position latérale de sécurité. Et pendant que le Chef se fait confirmer qu’un médecin est en route et qu’il demande une seconde équipe pour prendre en charge la femme, restée dans la cour, Pierre et son binôme enchainent toujours quasi mécaniquement la poursuite du bilan, plaçant différents capteurs qui indiqueront la tension artérielle et le taux d’oxygène dans le sang, tandis qu’ils apprécient manuellement le nombre de respirations et de battements du cœur, leurs forces et leurs rythmes, chaque constante donnant de précieuses informations sur l’état précis du poignardé, surveillant chaque paramètre, à l’affut du moindre changement, jusqu’à sa prise en charge par l’équipe médicale.
L’ambiance claire obscure de cette intervention remontera à l’esprit de Pierre, quelques jours plus tard, tandis qu’il lira un article relatant les circonstances du drame dans les pages de fait-divers du journal régional. Lasse de violences conjugales, elle a décidé de se faire justice elle-même lors de la dispute de trop avec celui dont les jours sont dorénavant hors de danger, alors que l’enquête n’a pas encore précisément déterminé ce qui s’est passé dans la pièce uniquement éclairée par une fenêtre dont les rideaux étaient ouverts, les ampoules en forme de flamme du lustre n’apportant pas plus de lumière à la scène qui s’étalait devant lui, aux pieds du lit, totalement défait.
Oui, personne ne le saura … Mais effectivement, pourquoi un lit défait ? 🙂
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Le lit, lieu d’ébats et de débats, parfois de dégâts…
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La description de la scène est minutieuse et méthodique. À croire que tu as en déjà vue de près.
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Pas exactement la même, mais dans le même genre…
Merci
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Lit défait, vie défaite…
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C’est tout à fait l’esprit.
Merci
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Wouah, un sacré texte, plein d’hémoglobine… On croirait que tu as déjà vu en vrai une telle scène, tellement ta description est réaliste et précise ! Franchement bravo !
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Une telle quel, non, mais similaire… Les souvenirs aident à la précision.
Merci
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Si ce n’est pas du vécu, bravo pour les détails de l’intervention. La tension artérielle du pauvre gars devait pas être bien haute, vu le sang qu’il a perdu… J’espère que ton prochain texte sera moins sanguinolent. Ca fait quand même froid dans le dos cette histoire.
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Désolé pour le retard de réponse. Et merci (oui, un peu plus de chaleur dans le prochain, quoi que…)
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Pfiou… Tellement réaliste…
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