Photo ©Leiloona Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 24 octobre 2016

Enfin, Pierre se sent bien. Les affaires sont rangées dans les placards de la chambre, les valises posées dans un coin, pas trop visibles pour ne pas penser qu’il faudra les réutiliser dans quelques jours, et rentrer. Il admire la vue depuis la terrasse, les avant-bras appuyés sur un garde-corps opaque dissimulant sa nudité aux vues de la rue en contrebas. Aspirant la vapeur qui s’échappe de sa cigarette électronique, il essaye de repérer, grâce aux souvenirs qu’il a du plan de la ville, le troquet dans lequel il a l’intention d’aller siroter un apéro en fin d’après-midi.

 Elle vient plaquer son corps nu contre le sien, pour admirer la baie. Leur jouissance a effacé la lassitude du voyage.

« — Tu crois que le ferry va nous gâcher le calme de la plage ?

— Non, elle est un peu plus sur la gauche il me semble. Au pire, on a la piscine de la villa. »

Ils restent silencieux plusieurs minutes, les mouvements de leurs corps se coordonnant au rythme de leurs respirations, se provoquant d’infimes caresses sur leurs peaux réchauffées par un soleil bien haut dans le ciel. Enfin, il a l’impression de se poser loin de ces préoccupations quotidiennes.

Oublié, le trajet quotidien dans un bus saturé où il est difficile de trouver une place assise. Oubliée, la grisaille des murs qui se confond à celle des nuages et qui mine le moral. Oublié, le boulot et ce tiraillement, incessant, entre le service à rendre au public qui le visite et la baisse cruelle de moyens qui lui sont attribués pour y parvenir. Oublié, le stress de ne plus y arriver. Oubliée, la pression qu’il doit mettre sur ses subordonnés, leur laissant croire qu’il n’y a pas d’autres choix quand il sait au fond de lui que du pognon il y en a, qu’il suffit simplement d’une meilleure redistribution pour que chacun puisse vivre correctement, un toit au dessus de la tête et à manger dans son assiette. Oubliées les manifs passées à se battre pour maintenir les conquis sociaux, sous les coups de trique de CRS au gazage facile.

Oublier, le temps de quelques jours pour ne penser qu’à lui, qu’à Elle, profiter l’un de l’autre dans cet éden.

Se poser.