Photo ©Leiloona Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 31 octobre 2016

Anne, la jeune femme de l’agence immobilière, française elle aussi, ne s’était pas trompée : Pierre adorait bel et bien le quartier. C’est ce qu’il se dit encore ce matin, alors qu’il revient de sa course hebdomadaire dans Hyde Park, la quatrième depuis son arrivée dans la gigantesque ville. Il aime se rendre dans l’écrin de verdure par les transports, y faire un tour plus ou moins long selon sa forme puis parcourir les deux miles qui le séparent de sa colocation en courant, le plus souvent sans prendre le même chemin, se perdant dans les rues encore inconnues de Notting Hill. Jusqu’alors, la seule approche du quartier qu’il avait eu était le film avec Julia Roberts, bien qu’il ait également entendu parler d’un carnaval. Mais, s’il avait bien compris, il ne verrait pas cet évènement, ne restant que trois mois en Grande-Bretagne.

S’il n’existe pas de profil type des expatriés, Pierre n’est pas venu comme d’autres pour bosser et se faire du fric à la City, ou par attrait d’un système moins protecteur, enfin plus « flexible » comme ils disent. Travaillant pour une association humanitaire parisienne, tournée vers un public international, il a décidé de venir améliorer son anglais in-situ, se confronter à d’autres cultures et d’autres communautés, mais également prendre des contacts pour mieux aiguiller celles et ceux des réfugiés qui souhaitent que la France ne soit qu’une étape de leur voyage. Il a présenté son projet à son responsable, qui a validé la démarche, le soutenant à condition que ça ne coute pas d’argent à l’association dont les sources de revenus s’amenuisent avec la baisse des différentes subventions. Pierre a donc pris un congé sans solde, quelques fringues dans une valise, un train vers Calais ainsi qu’un Ferry. Il avait recontacté Matthias, un de ses anciens colocataires, justement parti ouvrir un bar outre-manche.

Le larron avait immédiatement proposé de l’héberger sur son canapé le temps que Pierre trouve un logement plus pérenne. Il lui avait également proposé de bosser comme serveur pour pouvoir subvenir à ses besoins. Puis il l’avait mis en contact avec Anne, qui connaissait justement « le lieu idéal pour s’ouvrir aux autres », c’est-à-dire une colocation avec d’autres immigrés venant d’un peu partout sur terre. Il s’était tout de suite senti très à l’aise dans cette version anglaise de « L’auberge espagnole ». Plusieurs mondes cohabitaient dans le même espace. Quelques frictions épisodiques dues au caractère de chacun enflammaient parfois l’ambiance, mais la maison vivait surtout au rythme de ce que chacun amenait pour enrichir les autres. Un peu d’ouverture d’esprit suffisait à rendre cohérent n’importe quel métissage de cultures disparates.

L’ironie du sort faisait que ce lieu foisonnant se situe dans cette rue aux maisons victoriennes ou géorgiennes, notre coureur n’arrive jamais à se souvenir. Les multiples couleurs des façades donnent l’impression d’une harmonie malgré une pigmentation si disparate. Bien entendu, les personnes aux esprits les plus étriqués poussent des cris d’orfraie aux vues de ce patchwork, mais qu’importe. Dans la rue comme dans l’appartement, ce qui compte le plus est le respect de ce qui nous est différent.