Photo ©Felix Russell-Saw Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 24 avril 2017.

La nuit a été rude ; et froide. Pierre a beau être habitué à camper dans son camion, il n’a que rarement eu l’occasion de monter si haut dans le Nord. Et ce n’est pas fini, car il compte bien longer la mer baltique jusqu’à Kokkola, son « point de fuite ». C’est un petit bled, à cheval entre la Suède et la Finlande. Une fois sur place, il ne lui restera plus qu’à retrouver son contact, un malfrat local qu’il a dépanné dans le passé, censé lui fournir une planque pour quelques mois, le temps que les choses se tassent à Paris. Mais il a encore plusieurs centaines de kilomètres à faire pour y arriver. Au moins, il a jusqu’alors réussi à éviter les barrages de police, il prend ça pour un bon augure et se dit que la fin du voyage devrait être paisible.

Il se redresse et enfile sa veste, pour ne pas trop perdre de la chaleur accumulée dans son duvet. Il s’étire pour réveiller ses muscles endoloris par la rigidité du plancher du véhicule, à peine amortie par un fin matelas de mousse. Il secoue son thermos. La légèreté de l’objet et le petit clapotis lui confirment ce qu’il sait déjà : il n’a plus assez d’eau chaude pour se faire un café. Il se doutait que cette fuite ne serait pas une partie de plaisir, mais à ce moment très précis, il regrette ses actes. Tout remonte à quelques semaines quand, en bon escroc qu’il est, il a monté une nouvelle arnaque. Bien que doué et prévoyant, il a commis l’erreur de faire confiance à la mauvaise personne et mal évaluer sa cible. Tombé sur beaucoup plus méchant que lui, il s’est retrouvé « à l’amende » et il a dû monter sur un coup bien au-delà de ces principes : un braquage.

Il était censé être là pour faire le nombre, effrayer le chaland, pendant que des comparses réalisaient le larcin en lui-même. Ça a mal tourné, des coups de feu ont été échangés, un vigile y est resté. Il a réussi à fausser compagnie aux brigands, subtilisant une partie du butin pour assurer ses arrières. Mais même s’il n’a pas lui-même de sang sur les mains, il a tout de suite su qu’il devait à la fois se soustraire à la justice d’état et du milieu. Il a rejoint sa planque, jeté son sac d’urgence dans sa maison roulante et immédiatement pris la poudre d’escampette par les petites routes. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à s’arrêter en pleine campagne, pour faire le point et se reposer un peu, quelque part près de la mer, au Danemark.

Pierre ouvre la porte du camion et découvre la forêt de petits sapins qui s’étend à perte de vue. Il s’assoit au bord du véhicule pour en sortir et se dégourdir les jambes. Pour la première fois depuis longtemps, il se sent apaisé. Tout semble si loin de toute agitation. Il s’accorde un moment de répit avant de reprendre son chemin, cette fuite en avant qui, il l’espère, lui permettra de recommencer une existence calme, et pourquoi pas honnête. Il y aspire en tout cas.

« Politiet! Undlad at flytte! »