Vous connaissez mon goût pour l’écriture à partir d’une photo, voici que @Popins lance un nouveau défi : l’écriture contrainte à partir d’une liste de mots. Je commence ce texte le 18 janvier, voici la liste du jour, proposée par @Olyse : Vertige Nitescence Quai Éclore Saule-pleureur Poindre Absinthe Ensorceler Tweed.

Douce musique

Et le voici, dans le froid d’un petit matin d’hiver, à attendre le premier RER, ivre de fatigue et repu d’endorphines. Il se remémore cette soirée grisante, cette rencontre folle et la nuit torride qui a suivi ; il a l’impression d’être pris d’un vertige, de perdre pied face à tant de sensations. Pierre ferme les yeux, respire amplement. Il se concentre, visualise ses pieds bien ancrés au sol, ressent tout le poids de son corps réparti sur les 56 minuscules os engoncés dans des chaussures de cuir pas encore faites. Il se calme. Une dernière inspiration et il ouvre ses yeux qui clignent pour s’habituer à la violente nitescence des ampoules trop blanches.

Il regarde autour de lui et s’étonne du nombre de noctambules à attendre comme lui sur ce quai qu’un train les ramène à la quotidienneté de leur vie. La nuit est un monde à part, si enivrant, réservant plein de surprises inattendues. Son visage se détend, un sourire béat vient y éclore alors que le tumulte de sa soirée lui revient à l’esprit. Rien ne serait arrivé sans cette journée éreintante, trop de boulot avec trop de tâches toutes plus urgentes les unes que les autres. Ce besoin d’aller prendre l’air, s’aérer l’esprit pour ne pas devenir zombie. Croiser Jérémie sur la terrasse squattée par les fumeurs. « On va en afterwork au Saule-pleureur avec la nouvelle assistante, tu viens ? »

Il s’est laissé tenter. Il a bien fait. Voilà plusieurs verres que Pierre a le nez rivé dans le décolleté que la fausse ingénue agite devant lui. Il s’était surpris à l’observer, elle l’avait surpris aussi, il avait rougi, elle avait alors gonflé son imposante poitrine d’une grande inspiration, pour lui en mettre encore plus plein la vue. D’autres signes ne trompaient pas : l’imperceptible rapprochement, la mèche qu’elle entortillait sur son index et surtout, son rire à sa pire blague. Même Jérémie voyait poindre la suite horizontale des évènements. Par dépit, lui qui voulait attirer la collègue chez lui, il commanda même une tournée de shot d’absinthe.

L’effet fut immédiat, les têtes tournèrent aussitôt. Elle déclenche son regard de braise, puis vient se coller à sa proie, ses seins plaqués contre son torse. Elle lui chuchote « il y a trop de bruit ici, j’habite à côté, tu viens prendre un dernier verre ? », ses doigts venant l’effleurer, pour finir de l’ensorceler. Il pose sa main sur ses hanches et hoche la tête pour montrer qu’il veut bien. Elle ramasse son sac à main, attrape son téléphone, pianote sur son écran. « Le chauffeur sera là dans 4 minutes ». Les voilà bientôt, on le devine, à l’arrière d’une berline. Sièges en cuir, espace pour les jambes, petit compartiment pour les bonbons, leurs doigts qui s’entremêlent. « Vous avez une préférence pour la musique ? » Ils ne répondent pas. Il voit subrepticement s’afficher le titre Sweet music, des Tweed funk. Petite guitare, des cuivres, voix de velours. Il la regarde. Elle hoche la tête. Il veut l’embrasser…