Photo © Texte publié pour l’atelier d’écriture du site Bric à Book du 19 janvier 2018.
Une contrainte supplémentaire à l’écriture sur photo : placer dans le texte les mots pantin, asphalte, oxymore, escargot, bois.
Bien des évènements avaient mené à ce moment semblant banal, deux femmes grignotant un morceau, assises sur un rudimentaire banc de bois, devant ce diàn similaire à tant d’autres. Une guerre perdue ; l’exode d’un soldat français à travers un continent, à fréquenter fumeries d’opium et bordels à deux sous. Tomber amoureux d’une autochtone, ouvrir son restaurant, gastronomie française et « service spécial », pour que la belle devienne maquerelle derrière un comptoir et ne batte plus l’asphalte. Pousser plus loin son trafic d’êtres humains, grâce à la corruption locale, en abusant du désespoir des jeunes couples en désir d’enfant, trouvant un bon moyen de se débarrasser des rejetons nés des relations clandestines de ses serveuses.
Pierre en avait eu le souffle coupé, en découvrant l’héritage légué par son père, un grand livre rouge – il reconnaissait bien là sa facétie – planqué dans le double fond du coffre de « L’escargot ». Bien sûr, il se doutait que son aïeul n’avait pas toujours été très net, le restaurant ne permettant pas de faire fortune quand il l’avait repris, mais le trafic ayant cessé depuis deux décennies, rien ne lui avait mis la puce à l’oreille. Tout était noté, et il se sentait comme un pantin découvrant que les sommes que son père venait prélever dans la caisse ne lui servaient pas « d’argent de poche », mais à envoyer des mandats à plusieurs femmes ayant travaillé en salle et dans l’arrière-boutique. Les noms inscrits à l’encre noire et Internet lui avaient permis de mener son enquête.
Ahn et Axelle ne se connaissaient pas avant cet appel invraisemblable qu’elles avaient reçu chacune à leur tour. Séparées quasi dès la naissance, alors que le banquier et l’ouvrier syndicaliste ne s’étaient même pas croisés, elles avaient eu un parcours si différent, une vie en guise de long fleuve tranquille, avec pour seul point commun l’ignorance de leur origine et l’amour inconditionnel porté par leurs parents adoptifs. Mais au premier regard, dans ce bar parisien, les jumelles enfin réunies, comme le plus bel oxymore, avaient tout de suite ressenti d’où venait ce manque niché au plus profond d’elles-mêmes. Elles avaient su que cet appel allait bouleverser leurs existences et leur agenda, traversant, dès que faire se pouvait, les cieux pour se retrouver ici, assises sur un rudimentaire banc de bois, devant ce diàn similaire à tant d’autres, et pourtant si particulier…
Histoires de famille, encore et toujours; Sujet inépuisable excellemment traité ici. Joli défi bien relevé.
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Waouuuu ! Je redécouvre ta plume avec un grand plaisir et cette histoire est juste merveilleuse bien que sordide dans les premières lignes ! En sortir un aussi beau texte est une belle prouesse ! Chapeau l’écrivain ! 😉
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