Photo © Jean Carlo Emer Texte publié pour l’atelier d’écriture #387 du site Bric à Book ; vous y retrouverez ce texte, ainsi que les autres participations, le 7 décembre 2020.

Voilà un énième déménagement de terminé, un nouveau départ, dans une nouvelle ville, pour une nouvelle vie. Un projet mûrement réfléchi, qui avait mis du temps à se conclure, mais ils y étaient arrivés, non sans heurts d’ailleurs. Ils avaient acheté cette maison, qui était devenue leur maison, et qui le resterait jusqu’à la fin de leurs jours. Ils avaient enfin pu rassembler leurs affaires disséminées en caves et greniers familiaux, l’ensemble des cartons regroupés au fond du garage. C’est là que Pierre avait retrouvé cette photo, dans une boîte recueillant de vieux souvenirs, alors qu’il cherchait un moule à pâtisserie.

Le flash fut instantané. Les patins à roulettes trainaient dans l’entrée de la demeure des vacances, le gamin qu’il était avait voulu les essayer. Un peu malhabile, il les avait chaussés, assis sur les marches d’un grand escalier en chêne, puis avait réussi, cahin-caha, à redresser ; n’ayant strictement aucune stabilité, il s’était agrippé à la rambarde, paralysé par la peur de faire un faux mouvement. Sa maman lui avait proposé de le tenir, et l’aider à sortir dans la cour. Son père s’y était posté dans un coin, Leica prêt à capturer les instantanés de vie à venir.

Après moult cris et pertes d’équilibre, Pierre et sa mère avaient franchi les quelques mètres leur permettant de se retrouver à l’extérieur. Et le voilà, raide comme un piquet, commençant à se demander si c’était vraiment une bonne idée de chausser ces semelles roulantes. Il en vient à supplier la femme de ne pas le lâcher, empoignant son bras à se faire blanchir les phalanges. Tu vas y arriver, c’est facile, tu vas voir, aie confiance en toi, lui dit-elle, posément. La voix douce eut un effet apaisant sur le môme, mais pas trop rassuré, qui prit plusieurs grandes respirations, tel qu’on le lui avait appris. Puis, dans un sentiment d’assurance, il desserra son étreinte, pour enfin lâcher le bras maternel.

Va s’y, fiston, fonce ! cria le père, manipulant le déclencheur de son appareil. Il ne fallut que quelques secondes à Pierre pour perdre l’équilibre, mais des heures à attendre pour la pose d’un plâtre sur son poignet douloureux. Il sourit, se rappelant maintenant pourquoi l’articulation le lance les jours trop humides. Il ne fit plus jamais de patins à roulettes, ni n’importe quel autre sport impliquant de glisser. Il repose la photo dans sa boîte à trésor, qu’il remet au milieu d’un carton contenant tout un fatras de choses dont il faudra bien faire le tri. Puis, ayant trouvé l’objet de sa recherche, il ressort, joyeux du garage, avec l’envie de raconter l’anecdote à sa bien-aimée. « C’est bon Chérie, j’ai retrouvé le moule pour les madeleines ! »